
Descente aux Enfers
Torture de Solon
Les premiers jours, j’ai cru que mon corps céderait avant mon esprit. Privé de nourriture, j’ai bu dans les chiottes pour ne pas crever de soif. Chaque gorgée avait un goût de désespoir, mais je l’ai avalée. Car survivre était la seule chose qui comptait. Ils voulaient me voir faible, soumis, vidé de moi-même. Ils me gardaient dans l’obscurité, les yeux bandés dès qu’ils me déplaçaient, comme si ne pas voir où j’étais pouvait m’empêcher de comprendre ce qui m’arrivait. Comme si cela suffirait à me briser.
Puis vinrent les coups. Réguliers, mécaniques. Poings, pieds, Taser. Des décharges qui me faisaient hurler, des os qui craquaient sous l’impact. Chaque matin, je me réveillais en me demandant quelle partie de moi ils allaient s’acharner à briser. Aller pisser était devenu un rituel de douleur : on nous traînait en file indienne, et sur le chemin, ils nous frappaient. Des rires, des insultes, le claquement sec des coups. Il fallait tenir debout, car, si l’un tombait, nous étions tous tabassés. Alors, nous serrions les dents et avancions en silence.
Mais le pire, ce n’était pas la douleur physique. C’était ce qu’ils infligeaient à mon esprit. Les cris des autres prisonniers, les exécutions qu’ils nous forçaient à écouter, parfois à regarder. L’attente interminable avant qu’ils ne reviennent. La privation de sommeil, les nuits hachées par les hurlements, les réveils brutaux. On finissait par ne plus savoir si on rêvait ou si on vivait un cauchemar.
Je ressentais tout. L’humidité collante de la cellule, le froid du carrelage sous mes genoux, l’odeur aigre de la sueur et du sang séché. Chaque détail s’imprimait dans mon esprit comme une brûlure. Je voyais tout. La poussière dans les interstices des murs, les rides de fatigue sur le visage des autres captifs, l’ombre d’un pas derrière la porte avant même que la poignée ne tourne.
Jusqu’au jour où mon corps n’a plus tenu.
Un coup à la tempe, plus violent que les autres. Le sol devint ciel. Le sang battait à mes tempes comme une marée noire. Puis, le silence.
Une lande grise, sans horizon. Une mer d’ombres sans reflet, où dérivent des silhouettes murmurantes. La figure de ma mère apparut — floue, fragmentée — et me parla par bribes.
— Tu as vu le monde des vivants. Mais ce qui sauve dort dans l’ombre…
Chapitre VI